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Chroniques
Punch and Judy | Punch et Judy
comédie tragique ou tragédie comique d'Harrison Birtwistle
Soir de première, au Bâtiment des Forces Motrices. Le public genevois gagne l’île, pénètre les lieux, s’installe dans un espace qu’il constate modifié. Qu’a-t-on fait de la confortable frontalité à l’italienne ? C’est bien plutôt autour d’une piste de cirque qu’il vivra l’hilarante férocité d’un spectacle exquisément féroce : Punch and Judy.
Ici, point de narration : c’est à une fête étrange que convie Harrison Birtwistle qui signa l’œuvre en 1968, une œuvre bientôt frappée par la censure et toujours fermement déconseillée aux moins de seize ans. Et la piste d’accueillir un rituel aussi drôle que macabre, déclinant ses cycles – les voyages de Punch, les sacrifices, prenant soin de démaquiller chaque victime avant l’acte, comme de rafraîchir les couleurs d’un visage amusé de terreur avant toute nouvelle scène (cène, peut-être même ?), le cri de guerre, l’énigme, la comptine, la berceuse, etc. – jusqu’à l’acquisition de « powers » : trompettes, violons, tambours, attributs musiciens au travers desquels le compositeur, au superlatif humour, s’amuse avec son propre statut de manipulateur des espaces sonores. Picaresque, Punch ?... et ne croisant de vérité que dans la mort ? Cherchez donc, toujours vous vous tromperez ou serez trompés. Ce scandale de haut vol où « Punch, grand prêtre du tourment, dispense l'hostie de l'horreur dans un calice de mépris » crie sans leçon donner. Une virtuose irrévérence tire son chapeau à quelques spectateurs qui, n’en espérant pas tant, quittent offusqués les délices de cet éblouissant temple des abominations. Quel plaisir de constater que certaines œuvres gardent ce pouvoir-là, précieux entre tous – on se souvient du même phénomène avec Le Balcon Péter Eötvös à Aix, en 2002, pourtant bien plus sage ; alors pensez-donc, devant ce « mathématicien de la souffrance [qui] jongle avec des axiomes d'arrogance, des logarithmes de luxure dans la double équation de la mort » ! De fait, la mort, encore la tuera-t-il, dans sa frénésie, et de là à damner le Diable…
Contrairement à ce que l’on put lire en France lors de la création londonienne de la présente production, il y a près de trois ans, Punch and Judy connut déjà notre territoire, à l’automne 1999, à la Grande Halle de la Villette : nous l’y avions vu dans une réalisation du Music Theater of Wales, lors d’une semaine à programmer de ces opéras à petites formes (dont The Glass Menagerie de l’Italo-norvégien Antonio Bibalo, d’après Tennessee Williams). En dehors de l’Hexagone, avant cette reprise à Genève l’on comptera également une présence de l’œuvre à Amsterdam. Ce qui n’enlève rien à l’urgence de montrer Punch and Judy à Paris, et dans cette mouture-là : osons rêver de quelques soirées sur la piste des Bouffes du nord dont le cadre particulier semblera idéal à cette subversive orgie farceuse.
À trente-quatre ans, Daniel Kramer, metteur en scène américain basé à Londres, ayant été formé à Chicago avant que d’étudier en Europe la commedia dell’arte (tellement présente, ce soir), affirme, de spectacle en spectacle, tant au théâtre que sur la scène lyrique, une délicate sauvagerie que la présente production (conçue en 2008 pour l’English National Opera) érige en magnifique vertu créative. Fréquenter tout à la fois le théâtre de marionnettes et la tragédie grecque n’est guère chose aisée : Kramer ose une geste audacieuse qui d’un cordial riflard, où se croisent Ghelderode, Arrabal et Carmelo Bene, se joue des résistances. Encore faut-il reconnaître à son équipe tous les mérites, de l’excellente Lucy Schaufer (mezzo-soprano) densément présente en Judy à l’habile Gillian Keith en Pretty Polly fabuleusement hystérique, en passant par quatre chanteurs pour chacun desquels cette première constitue une prise de rôle en tous points réussie. Ainsi du Docteur au gosier profond de Jonathan May (basse), du Juriste à la clarté mirifiquement incisive de Mark Milhofer (ténor), de l’autoritaire Coryphée fermement timbré de Stephen Bronk et, avant tout, du jeune Lombard Bruno Taddia, baryton flamboyant et comédien né, d’ailleurs remarqué à Genève dans La Calisto où il chantait Mercure [lire notre chronique du 17avril 2010], qui campe un Punch éblouissant.
Répartis entre un tutti juché sur un grenier de touche droite (côté cour) et un quintette à vents dans une alcôve d’arrière-scène, les musiciens de l’Ensemble Contrechamps servent d’une verve vigoureusement expressive l’énergique partition de Birtwistle, sous la direction précise de Wen-Pin Chien.
BB
Lire notre critique CD Punch and Judy par Laurent Bergnach